Alain Damasio est un auteur-phare de la SF française contemporaine. En quelques romans et nouvelles, il a réussi à conquérir le grand public et… pour une fois qu’on parle SFF (SF Francophone), je n’ai pas grand chose à critiquer. Bien au contraire. Entre la militance rebelle de « La Zone Du Dehors » et la puissante poésie de « La Horde Du Contrevent », il y a là matière à entrer dans l’histoire du genre. C’est indiscutable. L’homme manie les concepts sociaux ou le langage avec le même brio. J’ignore ce que vaut son dernier roman, « Les Furtifs », mais je ne doute pas qu’il pose comme toujours les bonnes questions, et qu’il y répond -sinon correctement- au moins de façon satisfaisante pour beaucoup, et avec une humanité qui l’honore.
L’entretien que je vous propose aujourd’hui a été publié il y a quelques mois chez Blast (qu’on remercie), et il permet de saisir la pensée actuelle de cet auteur. Je sortais justement d’une n-ième relecture de « La Zone du Dehors » (publiée il y a 25 ans). Ce fut donc pour moi l’occasion de noter qu’il tient désormais un discours moins agité, négatif et cinglant que Captp (le héros de la Zone). Les années passées semblent avoir apaisé Damasio : il est moins énervé, plus optimiste, ce qui n’est pas un mal… dans une certaine mesure. Toutefois, dans le contexte actuel, où la colère du peuple est clairement justifiée, je m’attendais à plus de virulence dans le propos. Je ne suis, par exemple, pas d’accord avec son opinion que tout ira mieux à mesure que le système « se rouille » et que les braves gens s’organisent. Car « on » ne les laissera pas faire. Regardez comment le pouvoir en place a détruit la réputation des Gilets Jaunes sur plusieurs années, appuyés par un système médiatique corrompu et l’absence d’empathie -terrifiante- de toute une partie de la population. Et comment les (justes) protestations sociales actuelles sont cassées par la temporisation, la répression policière, la corruption des syndicats, et la guerre psychologique.
Quoiqu’il en soit, cette interview est informative et passionnante. Je ne partage pas sa vision décroissante de l’avenir. Je trouve, à l’inverse, que la crise actuelle est due à un NET RECUL de la volonté de puissance des classes populaires, et que cette erreur historique collective va se payer très, très cher (en fait, le sang coule déjà quotidiennement). C’est cela qu’il faut soigner à tout prix. Les gentilles « utopies maraichères » que Damasio envisage, épuisées par leurs propres dissensions et leur inclusivité dogmatique, ne feront pas le poids, ni techniquement ni militairement, face aux armées modernes qui s’appuient, elles, sur des siècles de science, des trilliards de fonds cachés… et l’avidité mortifère d’un petit nombre d’individus bien placés.
Cependant, l’avis de Damasio reste un son de cloche différent, enrichissant, et qui mérite d’être entendu…