CSF #006

Alain Damasio est un auteur-phare de la SF française contemporaine. En quelques romans et nouvelles, il a réussi à conquérir le grand public et… pour une fois qu’on parle SFF (SF Francophone), je n’ai pas grand chose à critiquer. Bien au contraire. Entre la militance rebelle de « La Zone Du Dehors » et la puissante poésie de « La Horde Du Contrevent », il y a là matière à entrer dans l’histoire du genre. C’est indiscutable. L’homme manie les concepts sociaux ou le langage avec le même brio. J’ignore ce que vaut son dernier roman, « Les Furtifs », mais je ne doute pas qu’il pose comme toujours les bonnes questions, et qu’il y répond -sinon correctement- au moins de façon satisfaisante pour beaucoup, et avec une humanité qui l’honore.

L’entretien que je vous propose aujourd’hui a été publié il y a quelques mois chez Blast (qu’on remercie), et il permet de saisir la pensée actuelle de cet auteur. Je sortais justement d’une n-ième relecture de « La Zone du Dehors » (publiée il y a 25 ans). Ce fut donc pour moi l’occasion de noter qu’il tient désormais un discours moins agité, négatif et cinglant que Captp (le héros de la Zone). Les années passées semblent avoir apaisé Damasio : il est moins énervé, plus optimiste, ce qui n’est pas un mal… dans une certaine mesure. Toutefois, dans le contexte actuel, où la colère du peuple est clairement justifiée, je m’attendais à plus de virulence dans le propos. Je ne suis, par exemple, pas d’accord avec son opinion que tout ira mieux à mesure que le système « se rouille » et que les braves gens s’organisent. Car « on » ne les laissera pas faire. Regardez comment le pouvoir en place a détruit la réputation des Gilets Jaunes sur plusieurs années, appuyés par un système médiatique corrompu et l’absence d’empathie -terrifiante- de toute une partie de la population. Et comment les (justes) protestations sociales actuelles sont cassées par la temporisation, la répression policière, la corruption des syndicats, et la guerre psychologique.

Quoiqu’il en soit, cette interview est informative et passionnante. Je ne partage pas sa vision décroissante de l’avenir. Je trouve, à l’inverse, que la crise actuelle est due à un NET RECUL de la volonté de puissance des classes populaires, et que cette erreur historique collective va se payer très, très cher (en fait, le sang coule déjà quotidiennement). C’est cela qu’il faut soigner à tout prix. Les gentilles « utopies maraichères » que Damasio envisage, épuisées par leurs propres dissensions et leur inclusivité dogmatique, ne feront pas le poids, ni techniquement ni militairement, face aux armées modernes qui s’appuient, elles, sur des siècles de science, des trilliards de fonds cachés… et l’avidité mortifère d’un petit nombre d’individus bien placés.

Cependant, l’avis de Damasio reste un son de cloche différent, enrichissant, et qui mérite d’être entendu…

CSF #005

Aujourd’hui dans Causons Science Fiction, on va parler d’un roman sympa pas forcément très connu mais qui vaut le détour : « Space OPA », de Greg Costikyan (2003, l’Atalante).

Couverture poche. © Leraf / L’Atalante

Johnson Mukerjii est un gagnant. Un authentique winner à la sauce californienne. Le roman s’ouvre alors qu’il planifie le lancement de son prochain produit : un écran holographique haute-définition vraiment pas cher. Une petite merveille dont le succès commercial est assuré. La réunion terminée, il allume un gros cigare, grimpe dans sa grosse bagnole de sport et regagne sa villa luxueuse des collines de San Jose où l’attendent son cuisinier, sa gouvernante, et surtout, surtout sa femme Maureen… Une femme incroyable. Aucun risque de se noyer dans le jacuzzi avec elle, quel talent cette Maureen. Ah, décidément, la vie est belle pour ce noble entrepreneur (…plus tout jeune et légèrement enrobé).

Mais voilà… Voilà que ces couillons d’aliens débarquent sur Terre.
Voilà que le président américain appelle notre héros pour s’assurer de sa présence lors du contact à la Maison Blanche.
Et voilà que toute la galaxie s’invite ici bas, et détruit l’économie locale en refourguant des bibelots hyper-avancés à des prix dérisoires.

Du jour au lendemain, l’écran 3D Mukerjii devient un machin désuet, incapable de rivaliser avec la concurrence qui a, au bas mot, des milliers d’années d’avance. Les banques sont les premières à quitter le navire. Les fournisseurs assiègent le standard téléphonique pour se faire payer… La boîte de notre héros coule à pic, telle le cadavre d’un bookmaker véreux dans le port de San Francisco.

Pour Mukerjii, c’est la descente aux enfers. De plus en plus cruelle. De plus en plus tordante. Il se fait littéralement dépouiller par le système, perd tous ses avantages matériels les uns après les autres, se fait physiquement malmener par… tout le monde, y compris un type en fauteuil roulant ! En cherchant du boulot, il tombe sur une vieille connaissance à la rancune tenace qui fait tout -TOUT!- pour le pousser hors de ses gonds. En se rendant à la soupe populaire, notre entrepreneur est délesté de ses derniers dollars, et se retrouve à la rue, dans la gadoue, parmis les rejetés, les chômeurs, les marginaux et les cinglés, à préparer des macaronis à la pâtée pour chat. La déchéance totale.

Mais Johnson Mukerjii n’a pas dit son dernier mot. Toute crise apporte son lot d’opportunités, et notre héros compte bien trouver un moyen de remonter la pente…

Space OPA est un roman comique de SF économique, édité chez l’Atalante en 2003. La traduction est assez inégale, parfois excellente, d’autre fois un peu à l’ouest… Mais vu que les effets drôlatiques reposent essentiellement sur des situations, ça ne pose pas trop de problèmes. Les dialogues auraient tout de même gagnés à être traduits moins littéralement. Par exemple, à un moment on peut lire la question suivante, complètement incongrue : « Pouvez-vous obtenir une image à partir de la mouche ? ». Quand on connaît un peu l’anglais moderne, et le contexte (les personnages sont en train d’observer une démo de l’écran holographique), on devine qu’il s’agit d’une traduction foireuse de l’expression anglaise « Can you take a picture on-the-fly ? » qui signifie « Pouvez vous faire une capture au vol de l’écran 3D (i.e. à un instant t, pendant que la vidéo s’exécute) ? ».
Ce genre d’erreur se reproduit de temps en temps, et on peut légitimement se demander pourquoi l’éditeur ne fait pas appel à des traducteurs un peu plus au fait de ces subtilités, ou de simples relecteurs de trad. Oui, je sais, on s’éloigne du sujet, mais j’ai lu tellement de conneries de ce genre, et dans des bouquins de SF très bien par ailleurs, que je suis exaspéré. Si les traducteurs et surtout les éditeurs sont si totalement à la ramasse niveau verbiage technique et expressions argotiques, faudrait peut-être songer à augmenter le niveau de culture générale intra muros.
Bref, il y aurait encore beaucoup à dire sur le monde de l’édition SF française (…que j’observe en silence depuis un bon quart de siècle), mais rassurez-vous, ces erreurs ponctuelles ne gâcheront pas votre plaisir de lecture, le bouquin demeurant excellent.

Space OPA, c’est donc une lecture de plage idéale. Le thème n’est pas compliqué, ça cause économie et marchés sous un angle satirique, sans trop rentrer dans les détails, ou alors en le faisant de façon claire. Aucun risque de migraine. Les rebondissements sont fréquents, la bonne humeur sous-jacente ne s’interrompt jamais, on nage dans les aberrations de la vie d’entreprise, c’est parlant pour beaucoup de monde en 2022 comme lors de la sortie en 2003. Il y a clairement du vécu qui transpire, l’auteur étant un « ancien » du milieu jeu de rôle et du jeu vidéo depuis les années 80 (c’est un pote de classe de Warren Spector, pour les connaisseurs)…
Les personnages principaux sont sympas et très attachants : entre le journaliste de la presse technique qui écrit de la SF, se prend pour un philosophe et se passionne pour les armes à feu, le technicien timide qui devient une bête sauvage quand on touche à son PC, et la spécialiste des ventes aux dents longues que Mukerjii déniche plus tard dans le roman, c’est une joyeuse galerie de portraits, tous paumés dans un monde subissant la pire crise économique depuis la chute de l’Empire Romain. Les aliens sont délirants et gluants, dans le style des Simpsons ou de Men In Black. Le roman ne se cantonne pas non plus uniquement sur Terre, ce qui renouvelle largement l’intérêt de l’intrigue à partir d’un certain point… Et ça c’est bien vu.
C’est donc un bon divertissement, et le bouquin ne tire pas à la ligne. Au contraire : à 350 pages, c’est une taille canonique pour un roman de SF. A fortiori humoristique. J’ai ri plusieurs fois à voix haute durant la lecture, et ça mérite d’être mentionné. Je vous conseille donc ce roman si vous cherchez de la SF accessible, moins cérébrale mais avec un discours amusant sur l’absurdité du monde en général, et celui des affaires en particulier.

Quoi, une « note » ?! Qu’est-ce que c’est que ces tentatives de quantification forcée ?! Vous vous croyez chez grand-papa Niels Bohr, ou dans un manuel de Donjons et Dragons, ma parole ?! Faites un jet de compétence pour voir ? Ah zut. Réussite « critique ». Alors je m’incline. Bon, disons un honorable 7.5/10, ce qui est vraiment pas mal. (…pour vous situer, dans ce système je mettrais Dune à 9.5/10, la Zone Du Dehors à 8.75/10, et Ready Player One à 6/10)

Ah oui, détail important : Space OPA se relit avec grand plaisir. Si vous passez dans votre librairie, ne vous privez surtout pas.

On remercie au passage l’Atalante d’avoir publié cette chouette trouvaille, voici d’ailleurs le lien vers la page de l’éditeur où vous pourrez acheter en ligne en poche (conseillé) ou grand format.

C’est tout pour aujourd’hui, on se retrouve bientôt avec des critiques de « SF dure » qui tabasse. (…du Egan, du Weir, du Stephenson, que du bon ou du très bon, accrochez-vous à vos claviers)

CSF #004

Un court billet aujourd’hui dans Causons Science-Fiction, mais le genre ki fé rayflaychir !

J’ai revu plusieurs épisodes importants de Star Trek : Next Generation il y a peu, notamment dans l’arc narratif des Borgs. Et c’est là que je suis tombé sur une excellente tirade de Q, le trublion aux pouvoirs divins dont le passe-temps favori consiste à taquiner le Commandant Picard (…qui, en bon français, n’apprécie mais alors PAS DU TOUT qu’on l’emmerde, même « affectueusement »).

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Bref, nous sommes vers la toute fin de l’épisode, l’Enterprise revient dans son « quadrant » galactique usuel, on a échappé de justesse aux Borgs. Dialogue de conclusion sur la passerelle :

Capt. Picard : « I understand what you’ve done here, Q. But I think the lesson could have been learned without the loss of 18 members of my crew. »

Q : « If you can’t take a little bloody nose, maybe you ought to go back home and crawl under your bed. It’s not safe out here. It’s wondrous, with treasures to satiate desires both subtle and gross. But it’s not for the timid. »

Traduction française (approximative) :

Capitaine Picard : « Je comprends l’intention, Q. Mais je crois que la leçon aurait pu être apprise sans la perte de 18 membres d’équipage. »

Q : « Si vous renâclez au moindre nez qui saigne, peut-être que vous devriez rentrer à la maison et ramper sous votre lit. L’univers n’est pas un endroit sûr. Merveilleux, certes, et rempli de trésors capables de combler les désirs les plus subtils comme les plus grossiers. Mais ce n’est clairement pas l’endroit pour des gens timides. »

Des mots puissants sur lesquels vous pouvez maintenant méditer. Je ramasse les copies dans 3 heures. 😀