Shady #034

Les géantes gazeuses sont des planètes intrigantes. Gravité énorme, interactions électromagnétiques dantesques, systèmes solaires miniatures, objets astronomiques originaux (anneaux, magnétosphère, tore de sodium, mini-lunes bizarres), points chauds, sources radios, tempêtes polaires géométriques, etc. Et l’un des concepts les plus déstabilisants, pour des créatures originaires d’un monde rocheux, c’est cette absence de surface solide sur laquelle « atterrir ».
Si vous ne savez pas voler, vous n’irez jamais sur Jupiter. Vous périrez brûlés vifs et écrasés après une longue chute libre dans les tréfonds de l’atmosphère. Idem pour Saturne. Sur Uranus et Neptune, c’est un peu différent, olfactivement du moins. La mort aura une odeur entre le méthane et l’ammoniac (…parfum latrines, quoi), avec toujours la même destination finale : écrasement et incinération simultanés.

« Oui mais », comme on dit par chez moi. « Et si… ? »
Et si j’avais un jetpack ? Un parachute ? Ou mieux, carrément une petite fusée nucléoplasmique avec voilure à géométrie variable, une tête de mort sur la carlingue et un budget delta-v de cinglé ?

Dans la novella « Rencontre avec Méduse », Arthur C. Clarke nous raconte comment un cyborg explore l’atmosphère de Jupiter. Rescapé d’un grave accident, cet homme est désormais un genre de « cerveau en boîte », ce qui lui permet d’affronter l’environnement Jovien durant des heures (gravité de 2.5g, radiations, pression, température, j’en passe). Il plonge donc dans l’atmosphère du géant à bord d’une capsule puis, parvenu à la bonne altitude, déploie un ballon à air chaud… nucléaire. Une montgolfière atomique ! Il fallait y penser. (Jules Verne aurait adoré) Commence alors un voyage stupéfiant…

Le shader du jour, codé par Klems, fait écho à ce récit de SF Clarkienne. Car on y retrouve cette étrangeté, ce gigantisme des planètes extérieures, avec ces immenses canyons de nuages, ces cordillères de gaz, et ce mystère des profondeurs abyssales striées d’éclairs menaçants. Et puis on lève les yeux, et là, loin, très loin au-dessus flotte un vaste système d’anneaux. Cet indice, ainsi que la couleur jaunâtre des nuages, pourrait nous faire croire que nous dérivons sur Saturne. Mais attention aux conclusions hâtives : à moins de contrôler le spectre et la taille de l’étoile, ou de considérer la structure fine des anneaux, nous n’avons aucun moyen de savoir si nous ne sommes pas en fait sur une géante gazeuse extra-solaire à des milliers de parsecs de la Terre… Voire carrément dans une autre galaxie !

 

 

Félicitations à Klems pour Gas Giant Flyby, donc, cet authentique morceau de SF tout en code, en maths et en couleurs. Un bel hommage à ces artistes et ces scientifiques qui, chacun à leur manière, ont imaginé à quoi pouvait ressembler l’horizon d’une planète géante. J’ai cité Clarke. Lui-même s’inspirait probablement du boulot de Carl Sagan, mais il y en a bien d’autres. Et d’ailleurs, le saviez-vous ? Le terme « géante gazeuse » (« gaz giant » en anglais) aurait été inventé par un auteur de SF, apparemment : James Blish. Encore un nom qu’il faudra découvrir dans un prochain numéro de VSF (Vendredi Science-Fiction).
En attendant, c’était le shader du jour. Bonsoir !

VSF #021

Contrairement au dernier VSF qui approchait le sujet de façon détournée, le récit du jour est un traitement direct, frontal même, du thème des technosignatures.

Là où Benford, dans Bow Shock, se plaçait dans un contexte galactique confortable (i.e. distances astronomiques), l’auteur du jour, Carrie Vaughn, n’hésite pas à ramener le problème directement dans notre système.

Synopsis : Une astronome découvre un artefact dans la Ceinture d’Astéroïdes… dans l’indifférence générale.

The Best We Can, de Carrie Vaughn, à écouter ou lire chez Escape Pod (avec la petite musique rock habituelle qui met bien dans l’ambiance) ou à lire chez Tor.

Ce texte pessimiste sonne tellement juste, si tristement réel, que je me devais de l’inclure dans le corpus de VSF, a fortiori après Bow Shock dont il est en quelque sorte l’antithèse : thème, longueur, profondeur, chute, etc. J’ai bien aimé l’écouter chez Escape Pod, et le relire chez Tor. C’est plutôt signe que la qualité est au rendez-vous. Et pourtant…
Pourtant il y a des détails qui me chiffonnent. Ce n’est pas vraiment de l’ordre de l’écriture, mais plus au niveau du scénario. Plusieurs angles d’attaque restent inexploités, et c’est dommage. Bon, il faut dire que j’ai des idées bien précises sur ces questions de heu… technosignatures, et que cela m’agace lorsque je vois le sujet traité de façon partielle (voire partiale).
Un autre souci de ce texte, c’est ce ton plaintif, totalement égocentrique, en déséquilibre avec une découverte qui devrait malgré tout être enthousiasmante. Mais là encore, c’est tellement le symptôme d’une époque qu’on ne peut que saluer la pertinence de ce choix narratif. L’Art imite la Vie. La Forme au service du Fond. Etc.

La nouvelle s’achève sur une note d’espoir un peu artificielle, probablement une référence au projet Breakthrough Starshot. Vous noterez cependant que les mots finaux ne sont pas « …the best we can do. », mais « For now. »
Comme si Carrie Vaughn elle-même avait perçu toute la violence, le désespoir de son texte. Et que dans un dernier geste de regret, elle avait voulu adoucir le constat.