VSF #020

Gregory Benford est un astrophysicien américain de l’université d’Irvine (Californie). Spécialiste des plasmas, il a bossé un temps comme codeur FORTRAN au Lawrence Livermore Laboratory (gasp !), et c’est là que durant les années 60, il aurait eu l’intuition d’un petit truc amusant qu’on appelle aujourd’hui virus informatique (re-gasp !), et qu’il en aurait programmé un (re-re-gasp !), puis deux, avant d’être le premier à en tirer une histoire de SF (quadruple-gasp ! …de l’oxygène, vite !)
Accessoirement, il offrirait parfois ses services en tant que consultant à la NASA, la DARPA, et… la CIA ?!

Comme il a visiblement décidé de ne rien laisser pour les autres, à 81 ans c’est aussi l’un des plus grands auteurs de SF dure de ces 50 dernières années. Nominé plusieurs fois aux Hugo et aux Nebula, il a remporté ce dernier pour un texte court (à 4 mains) durant les années 70. Il est également à l’origine du fameux « Cycle du Centre Galactique », qui raconte la découverte d’une race de machines extra-terrestres voulant détruire les civilisations biologiques. Un thème classique en SF, qui renvoie aux (récents) Inhibiteurs d’Alastair Reynolds, aux Cylons de Galactica, aux Machines de Dieu de McDevitt, aux berserkers de Saberhagen, aux reapers de la trilogie Mass Effect, ou même à l’épisode « The Doomsday Machine » de la série Star Trek des années 60. Il se trouve que j’ai lu, il y a fort longtemps, l’un des tomes de cette série (« À Travers La Mer Des Soleils ») et que des années plus tard, j’en garde un bon souvenir, au moins pour toute la partie exploratoire. Je me rappelle notamment de deux détails techniques marquants qui prouvaient (à mes yeux) que l’auteur savait un peu de quoi il parlait (…j’ignorais tout, alors, de son CV).
Plus récemment, Benford s’est allié avec un autre vieux-de-la-vieille, Larry Niven, pour nous pondre l’histoire d’un système solaire se déplaçant grâce à un propulseur Shkadov !

Vous l’aurez compris : Benford adore la physique, l’exploration galactique et les mégastructures, il y travaille en vrai (oui-oui, même en 2022), il fait les calculs lui-même, et n’hésite pas à inclure tout ça dans des récits de science-fiction. Et on ne va pas s’en plaindre !
Incidemment, les lecteurs attentifs de ce blog auront noté qu’ils ont déjà croisé un Benford dans les couloirs de la base… Plus précisément, « Jim » (le frère de Gregory, également scientifique) que Charles Stross a utilisé comme (prétendue) caution narrative dans « A Tall Tail » (VSF #007).

Le texte d’aujourd’hui s’intitule « Bow Shock ». Un terme astrophysique que l’on traduirait en français par « Arc de Choc » et qui désigne la couche de gaz comprimée devant une étoile ou un pulsar fonçant à travers une nébuleuse. Ce récit nous présente les mésaventures de Ralph, doctorant à l’université d’Irvine (!), qui doit affronter 36 problèmes pro, perso et autres, tout en soutenant sa thèse sur une étoile atypique surnommée « la Balle » (« the Bullet », du fait de sa haute vitesse).
J’ai apprécié cette histoire car elle sent le vécu : les doutes de l’étudiant, la vie personnelle qui interfère toujours au mauvais moment, les impératifs temporels, les résultats décevants, ou galvanisants. Et puis, on visite un site fameux dont je vous causais très récemment : le VLA ! Et la belle ville de Briançon ! (…heu attendez, là ?! La France dans une nouvelle de SF américaine ? Mais mon cher Asimov, débouchez ce champagne !) Tout sonne juste : les mesquineries, les rivalités pas assumées, les coups de pute et autres manœuvres carriéristes, les joies, les coups de stress, les succès, les revers, l’épée de Damoclès du fric, tout ça sur fond de mystère scientifique. Argh. Compliquée, la vie estudiantine !

Allez, ne soyons pas monolithique. Si je devais faire deux critiques constructives sur ce texte, elles seraient les suivantes :
1-la structure difficile de certaines phrases. Benford est tellement imprégné de cette culture universitaire qu’il débite naturellement du jargon, des expressions et des tournures de phrases compliquées. Cela brouille parfois la compréhension.
2-Le texte est un poil trop long. J’ai l’impression qu’il se lit mieux en deux sessions que d’une seule traite. Et en mode lecture bien confortable sous Firefox. (j’admets que cela reste très subjectif)

Au passage, on saluera l’effort de l’auteur qui a ajouté des illustrations pimentant le propos. Et puis il y a cette tension continuelle, cette attente fiévreuse face à une énigme dont, peut-être, nous n’aurons jamais le fin mot.
À moins que…

Bow Shock, une nouvelle de SF astrophysique par Gregory Benford, publiée en juin 2006 dans Baen’s Universe.

Remarque : à ma grande surprise, le sujet de cette nouvelle est récemment devenu plus concret que je ne l’imaginais. Il donnera probablement lieu à un commentaire de ma part, sous forme d’un numéro de « Concepts » à venir. En attendant, le prochain numéro de « VSF » reprendra très exactement cette thématique, mais dans un cadre élargi, offrant ainsi deux points de vue différents (par le biais de deux histoires de SF) sur un problème identique.

Zik #022

Pour rester dans la radioastronomie, voici donc Arecibo, de Carbon Based Lifeforms. Un voyage planant et l’illustration sonore parfaite pour le texte de demain… ou une soirée d’astro entre potes !

 

Publié dans Zik

Concepts #007

Le concept du jour relève encore de l’astronomie —de la radioastronomie, pour être précis. Il s’agit des « sources radio à longue période ».

La radioastronomie est un domaine d’étude (relativement) récent et complètement fascinant : en proposant d’observer les astres non plus dans le spectre du visible, mais au niveau de leurs émissions radios, elle ajoute un niveau de lecture à tout l’Univers. Il devient possible de différencier des objets qui, bien que visuellement similaires, possèdent des signatures électromagnétiques distinctes. Ou même de détecter des phénomènes encore inconnus.
La radioastronomie, c’est également des sites et des observatoires spectaculaires. Nous avons tous en tête le fameux VLA (Very Large Array) aux USA, cette voie ferrée en Y qui permet à des antennes gigantesques de se déplacer pour « configurer » le récepteur. On l’aperçoit sur l’affiche du film « Contact » (adaptation du roman SF de Carl Sagan), ou même au cours de cette scène de négociation diplomatique amusante dans « 2010, l’année du premier contact », quand l’américain Heywood Floyd (Roy Scheider) doit marchander avec l’ambassadeur russe (Dana Elcar).

L’astéroïde 2015TB145 (env. 600 mètres de diamètre) « photographié » au radar par Arecibo courant 2015, alors qu’il se baladait à 35km/s à une distance un peu supérieure à celle de la Lune…

On se souvient également de Arecibo, la grande oreille de Porto Rico, qui a été utilisée pour des motifs aussi variés que l’imagerie radar d’astéroïdes, ou pour envoyer un message SETI vers l’Amas d’Hercule… La machine s’est d’ailleurs récemment effondrée, vaincue par la corrosion (et la décadence de notre civilisation). Pendant ce temps, de l’autre côté de la planète, les chinois disposent d’un modèle du même genre (« réflecteur suspendu »), flambant neuf et plus gigantesque encore, le FAST.

Les plus passionnés sauront que longtemps, à Nançay, la France a disposé d’un appareil relativement impressionnant. Au cours des ans, les chercheurs ont agrandi puis modernisé ce site historique, et déployé des observatoires supplémentaires dans plusieurs endroits des Alpes. Ils y poursuivent actuellement leurs célestes investigations.

Le superbe observatoire NOEMA (Northern Extended Millimeter Array), de l’Institut de RadioAstronomie Millimétrique (IRAM), sur son perchoir du plateau de Bure (Hautes-Alpes) — Copyright IRAM

Bref, la radioastronomie, c’est d’abord une histoire d’antennes, de cornets, de miroirs et autres réflecteurs, souvent de taille impressionnante. Des capteurs, donc, à l’écoute du chant électromagnétique de l’Univers. Je ne vais pas refaire l’histoire de cette science, mais disons qu’un tas de choses curieuses (et cruciales) ont été découvertes en scrutant les signaux radios venus d’en haut… à commencer par, oui rien que ça : le Fond Diffus Cosmologique !
Il existe un véritable bestiaire spatial dans le spectre radio : des émetteurs naturels que nous répertorions depuis des dizaines d’années. Outre le Soleil et Jupiter, qui sont les plus évidents car les plus proches, il y a aussi tout un tas de sources lointaines, dont les plus célèbres sont les fameux pulsars, des étoiles en rotation rapide qui émettent un puissant faisceau radio à travers l’espace, tel un phare côtier détectable à travers toute la galaxie ! Mais on trouve aussi des centres galactiques actifs qui rayonnent bizarrement, des étoiles prises de soudaines bouffées de chaleur, des radiogalaxies, des quasars, et j’en passe… La plupart de ces objets se caractérisent par un type de signal, souvent répétitif, et dont la période (…la durée d’une oscillation élémentaire) se compte en fractions de seconde.
Un pulsar, par exemple, peut clignoter sur une fréquence allant de quelques hertz à plusieurs centaines de hertz. Ce qui signifie :
1) que l’étoile tourne sur elle-même à cette vitesse (!)
2) qu’on peut écouter le son d’un pulsar de façon triviale, en balançant directement son signal radio sur un bête haut-parleur ! Je vous invite d’ailleurs à écouter ces sons sur Youtube, il y a un paquet de sources enregistrées, elles ont toutes un côté « vieux synthés analogique des années 60 », « concert expérimental Pink Floyd », c’est honnêtement assez amusant, et ne manquera pas d’inspirer nos amis compositeurs (…Vangelis ne les a d’ailleurs pas attendus).

Bref, tout ça pour dire que vu l’abondance de sources radio à hautes fréquences (« rapides »), et la faible durée des tranches d’observation allouées (les radiotélescopes sont des instruments très demandés…) les astronomes n’ont pas toujours une bonne idée du paysage radio quand on écoute sur une longue période (c-a-d les changements de « luminosité radio » qui s’étalent sur des jours, des semaines, des mois, voire des années)
C’est tout l’intérêt de ce nouvel article proposé par Éric Simon, qui rapporte la découverte de « signaux de longue période » (…18,18 minutes !). J’ai choisi d’aborder ce sujet précis parce que toutes ces idées, concepts, échelles de temps, et autres grandeurs caractéristiques, sont en rapport direct avec la thématique d’un autre post à venir sur baselunaire.fr.
Disons pour employer une référence culinaire, que ce numéro #007 de Concepts est une sorte d’apéritif avant un repas qui s’annonce excellent (…vendredi prochain, donc, si vous saisissez l’allusion)
Merci encore une fois à Éric Simon pour tous ces articles truffés de notions complexes, d’un niveau de technicité parfois tout juste tolérable, et donc rigoureusement nécessaires à notre évolution sur le long terme. C’est en effet en lisant des choses plus grandes que soi, distrayantes mais exigeantes, que l’on progresse vers le stade suivant.
Ceci est valable pour la science, les shaders… ou la SF ! 😀

Observation d’une source radio transitoire de période très inhabituelle, un article de Éric Simon sur https://www.ca-se-passe-la-haut.fr